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Comment naissent les initiatives durables?

Pendant l’expédition Résîliences, nous avons documenté des stratégies de développement durable et de protection de l’environnement mises en place dans sept îles du monde. Ces actions permettent, à l’échelle locale, de répondre aux enjeux liés aux crises climatiques et environnementales que l’humanité traverse actuellement.


Nous nous sommes rendus dans sur des îles car leurs caractéristiques intrinsèques (ex. éloignement des continents, ressources limitées, forte exposition aux aléas climatiques, isolement), font d’elles des territoires qui comptent parmi les plus vulnérables aux changements globaux[1] (qui comprend les modifications environnementales et le changement climatique[2]). Les conséquences de ce dernier (ex. augmentation potentielle de l’intensité et de phénomènes extrêmes comme les cyclones tropicaux, élévation du niveau de la mer, modification des régimes de précipitation, réchauffement et acidification des océans) accroîtront les pressions environnementales locales déjà existantes, et rendront plus difficile l’adaptation de leurs habitants à ces changements.

De plus, les îles concentrent sur un petit territoire beaucoup de problématiques auxquelles d’autres sociétés font face aujourd’hui (ex. : l’urbanisation croissante, la surpopulation, la gestion des déchets, la gestion des ressources), ce qui font d’elles des laboratoires du développement durable. Leurs caractéristiques, perçues comme des contraintes aujourd’hui, dans le contexte d’un paradigme de développement fondé sur les énergies fossiles et la mondialisation, peuvent devenir des opportunités pour un autre modèle de société, fondé sur un développement durable et local.


Nous pensions tout d’abord trouver des exemples de stratégies de développement durable et de protection de l’environnement dans les sociétés traditionnelles, car à priori, elles ont encore gardé un « lien étroit avec la Nature », et sont encore « authentiques » (c’est à dire qu’elles n’ont pas subi les influences de la mondialisation et de la société moderne).

Cependant, le paradigme de la société moderne s’est tellement répandu dans le monde entier que presque toutes les sociétés traditionnelles en ont été affectées, ce qui font d’elles des sociétés « en cours de modernisation ». Elles ont des caractéristiques de sociétés traditionnelles (modes de vie, traditions et esprit communautaire forts), mais commencent à être sous l’influence de la modernité (accès aux technologies nouvelles, rejet des coutumes et aspiration des nouvelles générations à adopter un mode de vie moderne).

Il existe encore dans le monde des îles où se trouvent des sociétés traditionnelles, mais en général, pour se « préserver » de la modernité, elles ont le plus souvent entrepris volontairement de ne pas s’ouvrir au monde extérieur, pour ainsi vivre ainsi en autarcie (ex. : l’île de Niihau à Hawaï ou les Sentinelles aux îles Andaman[3]), ou alors elles sont difficiles d’accès (ex. : l’île de Tikopia).


Pour ces raisons, nous nous sommes rendus dans des îles en cours de modernisation ou modernes. Les noms de ces îles, les principales stratégies de développement durable ou de protection de l’environnement documentées et les individus qui en sont à l’initiative sont exposés ici :

  • Seraya Besar (Indonésie) : restauration des récifs coralliens, initiée par deux biologistes marins français.

  • Ua’Pou, dans la vallée d’Hakahetau, aux Marquises (Polynésie française): l’Aire Marine Éducative, initiée par l’Agence Française pour la Biodiversité, sur une idée d’un élève d’une école primaire aux Marquises, à qui une description des aires marines protégées avait été présentée par des scientifiques français.

  • L’Île d’Hawaï, archipel d’Hawaï (Etats-Unis) : soutien aux agriculteurs pour développer une agriculture locale, à l’initiative du Kohala Center (centre de recherche créé par deux scientifiques issus de l’université d’Harvard).

  • Ustupo, province kuna (Panama) : mode de gouvernance locale et gestion territoriale autonome, à l’initiative des communautés kunas, dont les chefs avaient étudié à l’étranger (instigateurs de la révolution kuna de 1925, qui permit d’acquérir l’autonomie de la province).

  • St-Pierre, St-Pierre et Miquelon (France) : tri, gestion et revalorisation des déchets, mis en place par la mairie à la suite d’une mobilisation citoyenne.

  • Flores, Açores (Portugal) : autosuffisance à l’échelle individuelle, à l’initiative d’Européens originaires du continent.

  • El Hierro, Canaries (Espagne) : centrale à énergie renouvelable, à l’initiative de deux élus locaux, ingénieurs employés à la compagnie de gaz et d’électricité des Canaries, en charge de la gestion de l’usine thermique (qui fonctionne au fioul) de l’île.

Comme on peut le voir, les stratégies de développement durable ou de protection de l’environnement documentées pendant notre expédition sont donc surtout initiées par des individus issus des sociétés modernes (pays développés), mais également des individus issus de sociétés en cours de modernisation (pays en développement) qui se sont rendus dans des pays développés.


Au cours de l’expédition, nous nous sommes interrogés sur le moteur de l’action individuelle. Qu’est-ce qui pousse un individu, ou un groupe d’individu, à agir ? Pourquoi certaines personnes mettent en place des stratégies de développement durable ?


D’après Durkheim[4], le moteur de l’action individuelle est grandement influencé par la société dans laquelle l’individu vit. D’une certaine manière, celui-ci n’est pas complètement libre, car il est orienté dans le choix de ses actions par la société dans laquelle il vit (morale, valeurs, culture, religion, médias, etc.). L’action individuelle dépend donc grandement du milieu dans lequel cet individu vit. Selon que l’individu soit issu d’une société traditionnelle ou d’une société moderne, il ne va pas avoir les mêmes réflexions quant à son rapport à la protection de l’environnement.

Nous exposons ci-dessous les paramètres qui, dans une société traditionnelle d’une part, et dans une société moderne d’autre part, déterminent ce qui pousse un individu à agir, et notamment vis-à-vis de la préservation de l’environnement. Nous verrons ensuite les bouleversements qu’entraîne l’arrivée de la modernité dans la société traditionnelle, et tenterons de comprendre ce qui amène des individus issus du monde moderne à mettre en place des stratégies de développement durable et de protection de l’environnement. Enfin, nous exposerons comment des stratégies de développement durable, comme celles documentées pendant l’expédition Résîliences, pourraient s’articuler afin de permettre à une communauté insulaire de se développer durablement.



La société traditionnelle


La société traditionnelle se définit par opposition à la société moderne, ou en voie de modernisation, comme une société « vivant d'après son histoire et sa tradition propre, avant toute modernité »[5], dans laquelle la division du travail est très faible et où les individus vivent en communauté, partagent des valeurs fortes, et où les écarts à la norme ne sont pas permis.

Le moteur de l’action individuelle est de respecter la tradition (refaire ce qui a été transmis de génération en génération). L’individu agit en conformité avec les doctrines religieuses, les normes sociales, les savoir-faire, etc., qui forment la culture, l’identité d’une communauté.


Est-ce que les sociétés traditionnelles insulaires protégeaient plus l’environnement que nos sociétés modernes ? Vivaient-elles en harmonie avec la Nature ? L’histoire ancienne et récente de l’Homme nous montre sa fâcheuse tendance à détruire la Nature, plutôt que de vivre en harmonie avec elle. Il est le plus grand prédateur du monde, responsable de nombreuses extinctions animales et a modifié les écosystèmes dans tous les continents et les îles où il s’est rendu (ex : extinction de la mégafaune australienne et américaine, déforestation massive des forêts néo-zélandaises, extinction du dodo de l’île Maurice). Il arrive que des communautés insulaires surexploitent leurs ressources et s’effondrent, comme ce fut sans doute le cas sur l’île de Pâques[6].

Cependant, l’Homme est capable d’apprendre de ses erreurs. Lorsqu’il n’est pas trop tard, il peut instaurer des règles afin de gérer durablement les ressources naturelles. En effet, si les sociétés humaines agissent de façon adéquate, elles peuvent perdurer. Pour ce faire, un système de valeurs sacrées est inventé, et se déclinent en règles et devoirs, qui doivent être partagées par l’ensemble des individus de la société pour fonctionner[7]. Ces règles sont en effet le plus souvent transmises par la religion, et certaines visent notamment à ne pas mettre en danger l’avenir de la communauté et à en assurer la cohésion (normes sociales), ou la survie (gestion des ressources).

Par exemple, la société traditionnelle marquisienne était régie selon des règles très strictes, des interdits (tapu et ‘ahui), que les chefs de tribu étaient chargés de faire respecter, afin notamment de gérer durablement les ressources naturelles. Dans le cas de la gestion des ressources marines, cela se traduisait par exemple par l’interdiction de pêcher certaines espèces de poissons pendant une durée déterminée afin de leur permettre de se reproduire.


Les sociétés traditionnelles insulaires parvenaient donc à survivre sur un petit territoire aux ressources limitées, grâce à des règles de gestion des ressources que se chargeaient de faire respecter les chefs par la religion.

Ainsi, les sociétés traditionnelles insulaires n’avaient d’autre choix que de gérer durablement les ressources. C’était une question de survie. Elles ne vivaient pas forcément en harmonie avec la Nature, elles s’y soumettaient.



La société moderne


La société moderne est en opposition avec la société traditionnelle. Elle casse les fondements de celle-ci et les remplace par la raison et la croyance au progrès. Ce qui n’est pas expliqué par la raison est rejeté, le rapport au sacré s’étiole, les traditions jugées absurdes ne sont plus pratiquées.

Par ailleurs, là où la communauté traditionnelle assurait travail, éducation, nourriture, soins médicaux, codes de conduite, etc. à chaque individu, ces fonctions sont désormais assurées par l’État et le marché. L’individu ne dépend plus de sa communauté, il est libre de suivre ses envies, et de ne pas vivre selon ce que sa communauté a décidé pour lui ; il agit pour lui-même[8].

Cette liberté, l’individu l’acquiert grâce à l’argent. La société moderne s’est développée et répandue grâce au capitalisme, un « système économique et social qui se caractérise par la propriété privée des moyens de production et d'échange, et par la recherche du profit[9] ». Dans les sociétés modernes, obtenir de l’argent devient le principal moteur de l’action individuelle. Le problème est que les ressources naturelles deviennent des ressources économiques, qui permettent à celui qui les exploite et les transforme de s’enrichir.


Néanmoins, l’État peut mettre en place des réglementations pour préserver l’environnement et les ressources naturelles. En effet, les premières lois de protection de l’environnement françaises et anglaises ont été établies suite aux déforestations qui ont eu lieu dans les îles Canaries, et une partie des Caraïbes[10], après leur colonisation.

Cependant, l’État est confronté aux contraintes économiques et aux « lois du marché » qui mettent en péril la gestion durable des ressources naturelles. En effet, malgré la prise de conscience de gouvernements de préserver l’environnement dans plusieurs pays aujourd’hui, ils sont vite rattrapés par les principaux acteurs économiques (les industries pétrolières par exemple), qui font pression sur les élus afin que les réglementations environnementales ne soient pas « trop » contraignantes.

Les élus cherchent en effet à créer des emplois et de permettre à leurs territoires de se développer économiquement, ce qui les pousse à accepter des projets qui ne sont pas durables. Par exemple, aux Marquises, alors même que les élus locaux soutiennent les Aires Marines Éducatives, ils ont accepté un projet de pêche industrielle, qui créera peut-être des emplois à court-terme, mais qui à long-terme entraînera une diminution importante des stocks de poissons autour de l’archipel, alors que les eaux environnantes sont considérées comme le dernier sanctuaire marin du Pacifique Sud[11]. Or, cela pourrait mettre en danger la sécurité alimentaire des Marquisiens.



La société en cours de modernisation


La modernité semble être une force irrésistible qui pousse les sociétés traditionnelles à aspirer à celle-ci. L’arrivée de la modernité dans une société traditionnelle peut conduire à une modification profonde de l’Environnement (modification des écosystèmes, raréfaction des ressources naturelles). Cela peut même devenir catastrophique si les ressources naturelles deviennent des ressources économiques (métaux, arbres, poissons, etc.), car il n’y a plus de limite à leur exploitation. En effet, les chefs perdent de leur autorité, les savoirs et la culture locaux ne sont plus transmis, comme ceux qui permettaient de gérer les ressources durablement.


La technologie aggrave cet effet, car elle peut avoir une forte puissance destructrice. Par exemple, les pêcheurs Bajaus se sont servis de la dynamite pour pêcher plus de poissons en moins de temps, et ainsi gagner plus d’argent avec moins d’efforts. Mais cela a entraîné la destruction de nombreux récifs coralliens, et mis leur sécurité alimentaire en péril.

De plus, les produits importés, faits à partir de matières artificielles (qui n’existent pas dans la nature et qui ne se décomposent pas), comme les plastiques, ne sont pas traités car leur impact sur l’environnement n’est pas encore connu, ce qui conduit à des pollutions. Par exemple, dans la province kuna, au Panama, les petites épiceries locales vendent des emballages et produits en plastique, qui sont jetés en mer et se retrouvent sur les littoraux, car les communautés ne sont pas équipées pour traiter ces déchets.



Vers un post-modernisme


Après la modernité viendrait le « post-modernisme ». Cette notion est utilisée dans de nombreux domaines, et dont les définitions sont nombreuses. Dans le cas de notre étude, on considère le post-modernisme comme une crise sociale qui conduit l’individu moderne à refuser, à ne pas suivre, le paradigme de la société moderne dans laquelle il a grandi. L’individu post-moderne cherche à dépasser les « idéaux progressistes, liés à l’esprit des Lumières, de la raison, de la Science »[12], de la société moderne. En effet, le modernisme entraîne un « désenchantement du monde », c’est à dire la « rationalisation croissante qui provoque une chute des croyances, et ainsi une désacralisation du monde »[13]. Le post-moderne tente de dépasser ce désenchantement, en renouant avec les croyances et modes de vie des sociétés traditionnelles notamment.


Le moteur de l’action de l’individu post-moderne est de retrouver l’harmonie entre l’Homme et la Nature. Il a conscience que son comportement a un impact sur la planète et que la Nature permet à l’Homme de vivre. Il cherche à reprendre les valeurs de la société traditionnelle sans pouvoir se détacher de l’héritage culturel et de la rationalité de la société moderne (accélération du temps, contraction de l’espace, liberté individuelle). Il renoue ainsi avec ce qui était entrepris par ses ancêtres issus des sociétés traditionnelles. C’est ce que nous avons pu voir aux Açores, où des Européens du continent recréent un mode de vie où les activités de subsistance (agriculture, pêche) ne sont pas sans rappeler celles des sociétés traditionnelles. Les actions de l’individu post-moderne peuvent néanmoins être contradictoires avec ses valeurs, car il évolue dans une société moderne dont il dépend (ex : recherche d’une sécurité financière qui le pousse à entrer dans le système économique capitaliste).



Un changement de paradigme


Nous nous sommes donc rendus compte que l’ère moderne était la suite logique de la société traditionnelle, et qu’elle laissera peut-être place au post-modernisme (qui devra s’accompagner par un système économique différent de celui de l’ère moderne fondé sur la croissance).

Le concept de développement durable, ou la notion de protection de l’environnement, résument peut-être le mieux cet état « post-moderne ». En effet, le mot développement durable apparaît pour la première fois dans le rapport Brundtland en 1987[14], dans un contexte où plusieurs crises environnementales et industrielles des décennies passées ont marqué les esprits (crise pétrolière, Amoco Cadiz, Seveso, etc.). Il remet en cause le modèle économique fondé sur la poursuite de la croissance, car il entrainerait des conséquences néfastes pour l’humanité (chute de la population), à cause de la pollution, de l’appauvrissement des sols cultivables et de la raréfaction des ressources énergétiques.

L’un des adages pour lutter contre la crise climatique est de « penser global, mais agir local ». Cependant, comment un individu peut-il penser global, s'il n’est jamais sorti de son île, voire de sa vallée ? S’il ignore les crises climatiques et environnementales actuelles ? Ainsi, la plupart des individus issus de sociétés en cours de modernisation n’ont pas pour priorité de protéger l’Environnement.


Pour autant, faut-il que les sociétés traditionnelles soient obligées de passer par la phase « moderne », et ainsi reproduire les mêmes erreurs ? Peut-être que non, ou au moins avant qu’il ne soit trop tard.

Cette phase d’aspiration à la modernité peut durer plusieurs dizaines d’années, mais aussi quelques années seulement. Sur l’île de Tikopia par exemple, où la population locale vit encore aujourd’hui de façon traditionnelle, de jeunes habitants ont récemment eu l’occasion de se rendre sur l’île principale de l’archipel des Salomons, moderne, pour tenter d’y vivre, mais se sont vite rendus compte qu’ils vivaient mieux sur leur île natale. En rentrant à Tikopia, ils ont partagé avec les habitants leurs impressions, et l’aspiration de la communauté insulaire à la modernité a par la suite fortement diminuée[15].


Nous nous sommes aperçus que les élus ont un rôle prépondérant à jouer, car ils orientent les choix de développement d’un territoire, par des subventions accordées à telle ou telle entreprise notamment. Par exemple, à El Hierro, aux Canaries, ce sont deux élus locaux, issus de la société civile, et ingénieurs employés à la compagnie de gaz et d’électricité des Canaries qui ont lancé un projet de centrale hydro-éolienne afin de rendre l’île autonome en énergie, en dépit de la politique régionale canarienne de l’époque qui était tournée vers les centrales thermiques.


En effet, ce ne sont pas vraiment les citoyens qui sont responsables, ils font avec ce qui est disponible, ce qui coûte le moins cher, ce qui est le plus pratique. Mais on s’aperçoit aujourd’hui que la population a le pouvoir d’orienter les choix politiques (en tout cas théoriquement) car, dans nos démocraties, elle élit les dirigeants politiques, mais elle peut également former des associations pour faire monter dans l’agenda des élus des projets en faveur d’un développement durable. Par exemple, c’est une mobilisation citoyenne qui a permis la mise en place d’une gestion efficace des déchets à Saint-Pierre et Miquelon.



Où se trouvent les stratégies de développement durable, et qui les développent ?


Les stratégies durables ne semblent donc être mises en place que par des individus post-modernes. Or, la pensée post-moderne ne naît chez un individu que lorsqu’il est saturé du modernisme. Il doit l’avoir éprouvé sous toutes ses formes, il doit en connaître les rouages, parfois en avoir souffert, pour se rendre compte de la non-durabilité de la société moderne. Il propose une alternative face à l’urgence de la situation.


Dans ce contexte, l’individu post-moderne se trouve évidemment dans les sociétés modernes, mais également dans les sociétés en cours de modernisation.

Dans les sociétés modernes, tous les individus ne profitent pas pleinement de la modernité : une partie des classes moyennes, les moins éduqués et les plus pauvres de la société. Ils voient la modernité partout sans pour autant parvenir à en profiter, mais y aspirent. Ce sont plutôt des individus issus des classes moyennes aisées, et/ou les individus les mieux formés et éduqués (qui parfois même ont un faible revenu), qui ont pris conscience de l’absurdité de cette course à la croissance. Ils développent, en tant qu’entrepreneur, élu, membre d’une association, ou alors individuellement, des stratégies de développement durable.

En ce qui concerne les sociétés en cours de modernisation, les post-modernes font le plus souvent partie des individus les plus éduqués de la population. Ils ont pu faire des études, dans leur pays ou à l’étranger, et ont pu identifier les limites du monde moderne. Ces individus peuvent contribuer à faire changer les choses chez eux, comme la désobéissance civile de Gandhi, qui a conduit à l’indépendance de l’Inde[16].



Résîliences, à la recherche d'une île durable


Les stratégies documentées lors de Résîliences montrent que des réponses existent pour s’adapter aux enjeux liés aux changements globaux actuels et proposer un autre modèle de développement. Il est envisageable de restaurer des écosystèmes endommagés par des pollutions et des destructions (restauration des récifs coralliens à Seraya Besar (Indonésie), reconstitution d’un sol fertile et dépollution sur l’Île d’Hawaï). Les connaissances et croyances traditionnelles peuvent inspirer d’autres sociétés (l’Homme n’est pas dissocié de la Nature, il en est partie intégrante, dans la province kuna, au Panama), qui doivent être transmises aux nouvelles générations (réappropriation de la gestion traditionnelle des ressources halieutiques à Ua Pou, aux Marquises). Ainsi, les futurs adultes pourront se mobiliser (mobilisation citoyenne à St-Pierre et Miquelon). Par ailleurs, les stratégies durables ne doivent pas compter uniquement sur les nouvelles technologies (centrale d’énergie renouvelable à El Hierro), car leur construction entraîne l’exploitation d’autres ressources fossiles (pout l’utilisation des batteries notamment, qui sont extrêmement destructrices de l’environnement[17]). Elles doivent également remettre en question le modèle économique actuel et chercher un mode de vie fondé notamment sur la sobriété énergétique, la recherche de l’autosuffisance, afin d’avoir un faible impact sur l’environnement (comme à Flores, Açores).


L’un des points qui ressort de notre recherche au cours de cette expédition, est que les personnes qui sont à l’origine de ces stratégies durables sont avant tout sensibles aux enjeux environnementaux. Ainsi, l’éducation des enfants permet de former des adultes (citoyens, élus ou entrepreneurs), qui seront volontaires pour proposer un autre modèle de développement (entreprendre des projets de développement durable, orienter les choix politiques). Nous nous sommes aperçus que l’éducation environnementale doit faire le lien entre les sciences de la raison (modernes) et les sciences empiriques (savoirs locaux et traditionnels). De plus, adapter des formations pour les jeunes adultes, en adéquation avec les contextes environnementaux et économiques locaux sont nécessaires pour mettre en œuvre les choix de développement cohérents avec la réalité des territoires insulaires.


Même si elles ont l’air de n’être que des gouttes d’eau dans l’océan des menaces qui pèsent sur l’avenir des îles, ces stratégies pourraient pourtant, de proche en proche, générer une dynamique nouvelle, et permettre de réinventer les îles, et pourquoi pas, le monde entier.




Bibliographie


[1] www.geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/changements-globaux


[2] Nurse, L.A., R.F. McLean, J. Agard, L.P. Briguglio, V. Duvat-Magnan, N. Pelesikoti, E. Tompkins, and A. Webb (2014). Small islands. In: Climate Change 2014: Impacts, Adaptation, and Vulnerability. Part B: Regional Aspects. Contribution of Working Group II to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Barros, V.R., C.B. Field, D.J. Dokken, M.D. Mastrandrea, K.J. Mach, T.E. Bilir, M. Chatterjee, K.L. Ebi, Y.O. Estrada, R.C. Genova, B. Girma, E.S. Kissel, A.N. Levy, S. MacCracken, P.R. Mastrandrea, and L.L. White (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA, pp. 1613-1654.


[3] www.survivalinternational.org/tribes/sentinelese


[4] Durkheim, E. (1912). Les Formes élémentaires de la vie religieuse.


[5] CNTRL (1960). Tradition. Disponible sur www.cnrtl.fr/definition/traditionnelle


[6] Diamond, J. (2005). Effondrement.


[7] Idem note 4


[8] Harari, Y. (2015). Sapiens, une brève histoire de l’humanité.


[9] CNTRL, Capitalisme. Disponible sur www.cnrtl.fr/definition/capitalisme


[10] Deloughrey, E. (2004). Island ecologies and caribbean literatures, Tijdschrift voor Economische en Sociale Geografie, vol.95, n°3.


[11] http://www.reporterre.net/Les-Marquises-archipel-le-plus-isole-du-monde-sont-menacees-par-la-peche


[12] Lyotard, J.-F. (1979). La condition postmoderne.


[13] www.lemondepolitique.fr/cours/sociologie/precurseurs/_max%20weber.htm


[14] www.un-documents.net/our-common-future.pdf


[15] Entretien avec Corto Fajal (24 novembre 2018), réalisateur du documentaire « Nous Tikopia »


[16] www.universalis.fr/encyclopedie/desobeissance-civile/2-histoire-moderne-de-la-notion/


[17] Pitron, G. (2018) La guerre des métaux rares, La face cachée de la transition énergétique et numérique.


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