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Dernières pensées


Nous voilà à bord de l’avion qui nous ramène à Tahiti. Il a fallut attendre ce passage transitoire entre ciel et océan pour me permettre d’écrire enfin. Derrière moi deux mois aux Marquises, devant, Tahiti pour quelques jours, puis Hawaii, notre troisième terrain.

C’est drôle comme on peut se souvenir très fortement des arrivées en terre inconnue et des départs en terre de souvenirs. Je crois que ces émotions sont d’autant plus fortes que nous sommes sur une île, donc un territoire isolé dont nous ne pouvons nous échapper facilement. Une terre où nous avons vécu, comme un repère sur cette vaste mer, lieu d’origine et d’avenir.


Encore un départ dont je me souviendrai longtemps.


Il n’y a pas beaucoup de choix pour quitter une île aussi reculée que Ua’Pou. Si en Indonésie, nous avions quitté la terre ferme par bateau, ici ce fut par avion. Un tout petit avion d’où l’on voit le tableau de bord et ses deux pilotes. Un tout petit avion bien secoué par les vents. Je me souviens d’un atterrissage particulièrement infernal. Le lieu de la piste est pittoresque, entre les vagues de l’Océan, les immenses cocotiers de la plaine littorale et les fortes pentes envahies de végétation, en haut desquelles veillent les pics accrochant les épais nuages poussés par le vent d’Est.


Cette fois-ci, le décollage s’est déroulé sans embûches. Je n’étais pas concentrée sur le cockpit et les actions des pilotes comme à l’aller, mais bien sur le paysage que je voyais défiler à toute allure depuis le petit hublot, lors de l’accélération de l’avion. Sandrine, Motu, Hitapu, Mariebel et Mahaka nous avait promis de nous saluer depuis la voiture, un peu plus haut dans la montagne au dessus de l’aéroport. Ils avaient dû se dépêcher de partir, après nous avoir déposé, pour être postés au bon endroit et voir l’avion décoller. Entre les reliefs escarpés, j’ai suivi l’unique chemin en lacet du regard, jusqu’à apercevoir le 4x4 gris de Motu arrêté à flan de falaises, entre les acacias. C'est allé trop vite, je n’ai pas pu les voir, mais je les imaginais agiter les bras dans l’espoir qu’on les aperçoive une dernière fois. C’était notre famille pour la deuxième partie de la mission dans la vallée d’ Hakahetau. Nous avons passé trois superbes semaines dans leur maison, à quelques mètres de la plage de galets noirs entre les arbres à pain, le grand manguier et les tipaniers. Un lieu de calme et de sérénité où le temps s’immobilise.


Très vite, Ua’Pou disparaît. Du hublot nous ne voyons plus que l’immensité bleue de l’océan. Il ne nous reste plus que nos souvenirs. Nous ne reverrons plus tous ces visages souriants, n’entendrons plus le chant incessant des coqs et le roulis des galets dans le ressac. Nous ne sentirons plus cette odeur de coco brûlée, le poisson qui grille et le goût des mangues, papayes, caramboles et autres fruits tropicaux qui poussent en abondance sur ces terres fertiles. Alors que j’écris ce texte, je survole les atolls des Tuamotu. Je ne me lasse pas de ce spectacle somptueux que l’on peut apprécier seulement par avion. Ces fines bandes de terres coralliennes encerclant un lagon turquoise, où se côtoient paradis et enfer et où vivent les Paumotu, les habitants des Tuamotu. C’est tout ce qu’il reste des grandes îles volcaniques qu’elles étaient, il y a environ 40 millions d’années. Ces épaves ont été rongées par le temps, l’érosion, et oubliées par les plaques lithosphériques, qui ont continué leur voyage vers le Nord-Ouest. Les montagnes se sont enfoncées dans la mer et les coraux ont poussé tout autour. C’est ce qui leur donne leur forme arrondie. Le point chaud magmatique à l’origine de ces îles s’est éteint. Et pour nous, c’était dans ces atolls que tout a commencé il y a 4 ans. Alors que l’Université nous avait envoyé dans une de ces missions de recherche sur ces terres des mers du Sud, nous avions eu nos premières révélations de géographes. « Mesdames et messieurs sur votre droite, l’atoll de Rangiroa ».



Je porte 4 colliers de fleurs de Tiaré avec quelques feuilles de menthe et de basilic, autour de mon cou et 4 colliers de graines. Il nous ont été offerts par les habitants lors de notre tournée d’aux revoirs d’hier et de ce matin. Qu’il est difficile de dire adieu… Mais que ces adieux sont beaux en Polynésie. Les hommes entourent le cou des femmes de ces magnifiques colliers et les femmes le cou des hommes. C’est la coutume. Ensuite, on se fait la bise et l’on souhaite beau voyage au visiteur. Souvent, le visiteur pleure en disant merci. On sait que l’on ne reviendra pas ici de si tôt. On sait bien que c’est les coûts exorbitants du voyage et de la vie sur place, en plus des merveilles que l’on y découvre, qui confèrent à cette destination le surnom de « voyage d’une vie ». Nous sommes d’autant plus chanceux, que parmi la petite tripotée de visiteurs de la Polynésie, rares sont ceux qui s’aventurent jusqu’aux Marquises. Cet archipel est le plus éloigné de tout continent du monde. Et disons-le, ce n’est pas le lieu prisé pour la farniente recherchée par les touristes (majoritairement de luxe qui s’aventurent jusque sous ces latitudes).

C’est sans nul doute cet isolement qui a permis aux habitants de toujours garder et nourrir cette identité de Marquisien, qui, depuis la renaissance de la culture marquisienne, se renforce davantage.


Est-ce le manque d’accessibilité qui permet de garder l’authenticité ?


L’odeur des colliers m’enivre, et je plane, on peut le dire. Quelle aventure.

Quand on part, on se souvient toujours de ce que l’on ressentait lorsque nous étions arrivés. Dans le paysage tout d’abord, on y avait tout de suite trouvé un mélange d’hostilité et de magie. Ces pics dressés vers les cieux qui fendent les nuages, ces vagues qui s’écrasent brutalement sur les falaises taillées au scalpel qui prennent mille formes rattachées à autant de légendes guerrières, ces puissantes averses tropicales avec ce vent qui souffle en rafale, puis se calme aussi vite, laissant place à un soleil rassurant et un doux alizé. Cette nature indomptable et imprévisible, mais infiniment généreuse, ce caractère rude, mais paisible à la fois, nous l’avions aussi remarqué chez les habitants.

Montesquieu disait : « Le climat dicte le caractère des peuples ».

Aux premiers abords distants, pudiques quant à leurs sentiments, ils sont accueillants et attachants. Menant une vie simple au jour le jour, nous ressentions que la vie avait aussi été dure, il n’y a pas si longtemps, et qu’elle peut toujours l’être. Jacques Brel disait si justement, « Le rire est dans le cœur, le mot dans le regard, le cœur est voyageur, l’avenir est au hasard (…) Gémir n’est pas de mise, aux Marquises ».


Je me rappelle alors nos différents entretiens avec les anciens, les gardiens de la mémoire, du patrimoine immatériel, de la culture orale, les koohua pakahio, les peaux séchées, comme ils les appellent. Aidés d’un interprète, nous avions bien pris conscience des différents changements observés et vécus par ces anciens, autant sur le plan climatique que dans les modes de vie. S’ils ont tous remarqué des changements notables dans le climat (plus chaud, moins de pluies, saisons moins marquées, érosion côtière,…), ce qui semble plus les tracasser est l’évolution du mode de vie dans la vallée : « C’est plus comme avant ». Étant jeunes, la vie était plus rude, il fallait beaucoup travailler, mais la nature était généreuse et leur fournissait ce dont ils avaient besoin. Les fruits, les tubercules, le poisson, les fruits de mer étaient en abondance, ils pratiquaient le troc et l’entraide. Ils n’avaient pas besoin d’argent. Depuis les années 90, l’arrivée de l’électricité, des voitures et des échanges commerciaux, la vie entière de la vallée a été modifiée. Les valeurs d’entraides et de troc ont laissé place au pouvoir de l'argent et à l'individualisme. Néanmoins, cette époque n'est pas si lointaine et certains donnent toujours sans attendre en retour, rien n'est perdu à Hakahetau, petite vallée de 200 âmes.


Nous avons très fortement ressenti toute la complexité d’un territoire en pleine transition et à la croisée des chemins, coincé entre traditions et valeurs ancestrales et désir de développement et de modernité.

Cette entrée dans la modernisation a eu des impacts sur l’environnement, notamment sur la baisse des ressources marines locales.


La formidable initiative de l’Aire Marine Éducative met en avant l’efficacité d’une démarche s’appuyant sur l’équilibre entre utilisation des connaissances traditionnelles (le système de gestion des ressources marines du ‘ahui - voir récits précédents) et de la science moderne.

Le défi des îles, tout comme d’autres territoires en développement est de réussir à préserver la culture et les valeurs respectueuses de l’Humain et de la Nature qui faisaient le ciment des sociétés traditionnelles, tout en se développant dans ce contexte mondialisé.

Jongler entre traditions et modernité, protection et développement est le défi de l’Humanité.

Ce défi est aujourd’hui particulièrement d’actualité aux Marquises, avec le projet de pêche industrielle qui pèse lourdement sur l’archipel.


Et si c’était les plus grandes menaces qui faisaient naître les plus grandes solutions ?


« Mesdames et messieurs nous entamons notre descente sur Tahiti, nous vous prions de ranger tous vos effets personnels dans les coffres à bagage ou sous le siège situé en face de vous, et d’attacher votre ceinture ».

Après avoir survolé une étendue d’eau infinie, les aiguilles vertes de Moorea, la voisine rurale de Tahiti, se dessinent sur la droite. C’est toujours avec énormément d’émotions que nous descendons sur le tarmac le long du lagon et que nous entrons dans cet aéroport, encore pénétré par la magie de nos premières impressions d'il y a 4 ans.


Dans deux jours, nous suivrons la route des premiers explorateurs, et partirons découvrir l’archipel d’Hawaï, un autre territoire à la croisée des chemins, dont les ancêtres sont… les Marquisiens ! Apae

Photo en haut de page : à bord de l'Aranui, le matin de notre arrivée à Tahuata

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